N’avez-vous jamais lu le livre merveilleux de RIIS dont nous honorons ici la mémoire à la suite de son décès récent où il présente un exposé statistique du rapport, concernant les 107 millionnaires de New York ?
Si vous lisez le compte rendu, vous constaterez que sur ces 107 millionnaires, sept seulement ont fait fortune à New York même. Sur les 107 millionnaires dont les biens immobiliers valaient à l’époque 100 millions d’euros, 67 ont fait fortune dans des villes de moins de 3500 habitants. L’homme le plus riche de ce pays, aujourd’hui selon la valeur de ses biens immobiliers, n’a jamais quitté une ville de 3500 habitants. Ce qui importe, ce n’est pas tant où vous vous trouvez que ce que vous êtes. Mais si vous ne pouvez pas vous enrichir à Philadelphie, vous ne pourrez certainement pas le faire à New York.
Or, John Jacob Astor a apporté la preuve de ce qui peut se faire n’importe où. Une fois, il avait pris une hypothèque sur un magasin de mode et il n’arrivait pas à vendre suffisamment de chapeaux pour payer les intérêts. Alors, il a saisi le bien hypothéqué, pris possession du magasin, conclu une association avec les mêmes gens, dans le même magasin, avec les mêmes capitaux. Il ne leur a pas donné un seul euro de capital. Ils ont dû vendre des marchandises pour avoir de l’argent.
Ensuite, il les a laissés seul dans le magasin, comme ils étaient auparavant et il est allé s’asseoir sur un banc, dans le parc, à l’ombre.
Que faisait là John Jacob Astor, associé à des gens qui avaient échoué sous sa propre conduite ?
Il détenait la partie la plus importante et à mon avis, la plus agréable de cette association. Car, alors qu’il était assis sur ce banc ; John Jacob Astor observait les dames qui passaient. Et quel est l’homme qui ne s’enrichirait pas à faire ainsi ? Il restait assis sur ce banc et si une dame passait, les épaules rejetées en arrière et la tête bien droite, en regardant droit devant elle, comme si elle se fichait que le monde entier la regarde, il étudiait son chapeau. Le temps qu’elle ait disparu, il en connaissait la forme, la couleur de la passementerie et les plis de la plume. Je m’efforce parfois de décrire un chapeau, mais ne n’y arrive pas toujours. Je suis incapable de décrire un chapeau moderne.
Quel est l’homme qui pourrait le faire ? Comment décrire cet entassement de fanfreluches collées à l’arrière de la tête ou sur le côté, faisant songer à un coq auquel il ne restait qu’une plume à la queue ? Mais à l’époque de John Jacob Astor, la chapellerie féminine relevait de l’art. Il se rendit dans le magasin de mode et dit aux employés :
–Mettez en vitrine le type d chapeau que je vais vous décrire, car j’ai vu une dame qui les aime. N’en mettez pas d’autres jusqu’à ce que je revienne.
Ensuite il sortit et s’assit de nouveau. Une autre dame passa avec un chapeau de forme, de texture et de couleur différente.
–Maintenant dit-il, mettez un chapeau comme celui-ci en vitrine.
Il ne remplissait pas sa vitrine du centre ville de chapeaux propres à faire fuir les gens pour ensuite se plaindre parce que les dames allaient les acheter chez Wanamaker. Il n’avait dans cette vitrine que des chapeaux que des dames allaient aimer avant même qu’ils soient fabriqués. La clientèle commença immédiatement à affluer et ce furent les débuts du plus grand magasin de ce type à New York qui existe toujours, avec deux autres.
John Jacob Astor fit la fortune de ce magasin après l’échec de ses associés, non pas en leur donnant davantage d’argent mais en découvrant quels types de chapeaux les femmes aimaient porter, pour ne pas gaspiller de tissu à les fabriquer. J’affirme que si un homme pouvait prévoir la tendance de la chapellerie féminine, il pouvait prévoir n’importe quoi sur cette terre.