LA SAGESSE DE MA MERE
Publiée aux éditions Afren de Kinshasa en République Démocratique du Congo, par Jean KAZADI KATUMBAY, la « sagesse de ma mère » est à la fois un récit, un chant traditionnel et un raisonnement, raconté comme un vieux sage relate des histoires chaque soir autour du feu. Elle est une évocation d’un passé actualisé écrite sous forme d’une lettre-épopée. L’auteur, qui se présente comme un jeune africain, s’adresse à sa Mère, une mère quelque peu mythique.
A travers ce récit, l’enfant narrateur devenu adulte, reconnaît, exalte et interroge la qualité du travail accompli par toute l’instance éducationnelle (famille au sens large, parents, école, la religion, l’Etat,…) pour l’amener à la maturité. Au-delà de la relation mère-enfant se cache une lecture appréciative des problèmes économiques, culturels et sociopolitiques contemporains.
La responsabilité parentale face au devenir, la mission de l’école, la corruption des élites en politique, la résignation des populations, les petites dynamiques agissantes, etc. constituent les thèmes clés abordés dans ce texte.
L’intimité profonde qui lie la mère à son « fils-narrateur » nous fait dire que l’auteur présente cette Mère comme le prototype d’une bonne et digne éducatrice. Assurer l’éducation d’un enfant, l’élever au sens noble du terme, en faire un acteur-historique ou un actionnaire authentique de l’Histoire, paraît dans ce récit une tâche difficile mais un devoir moral.
Pour l’auteur « si l’acte d’accoucher est si précieux, celui d’élever est douloureux. Car une erreur d’éducation, une inattention peut donner naissance à un monstre social ». Un parent responsable est celui qui sait écouter et gérer l’immaturité enfantine. Il ne se contente pas de la soumission aveugle et des interdits. Il doit expliquer et inciter à la créativité.
L’instance éducationnelle ne doit pas non plus dormir tranquillement sur ses autres lauriers, si l’un de ses ‘enfants’ est errant dans la rue sans repères. L’enfant ici n’est pas nécessairement sa propre progéniture biologique. Chaque enfant de la cité est mon enfant. Car l’enfant que je considère comme ‘enfant de l’autre’ est peut-être celui qui sortira le village de la misère noire et de l’isolement.
Dans l’esprit de l’auteur, la Mère n’est pas une femme. Elle incarne la responsabilité éducative. Dans cette perspective, à l’image de la Mère, le leader social doit se préoccuper du devenir de son peuple. Cette préoccupation n’est pas d’ordre émotionnel. Elle ne se traduit pas par de la sensiblerie. Elle implique un engagement et un travail de veille et de vigilance sur tout ce qui construit le devenir ; entre autres l’instruction.
Au sujet de l’instruction, l’enfant narrateur regrette que l’enseignement classique soit peu constructif de la personnalité. On dirait que l’encadrement scolaire venu d’Europe donne exclusivement des moyens de vivre et non des raisons de vivre. Il a tendance à confiner le jeune africain dans un mimétisme qui programme la dépendance dans tous les secteurs clés de la vie.
Pour l’auteur, l’école, dans sa formulation actuelle, ne permet pas à beaucoup d’africains d’être des personnes créatrices et pragmatiques. L’enseignement mérite d’être repensé pour qu’il devienne un outil au service de l’auto-prise en charge, du développement, de la croissance et de l’innovation.
En ce qui concerne la politique, ce récit peint les pièges d’une activité politique accomplie avec amateurisme, c’est-à-dire sans préparation, sans intelligence, sans expériences consolidées et sans expertise. Pour réussir en politique élévatrice de la population, il faut concilier et harmoniser ces quatre éléments précités.
On peut comprendre dès lors comment se fait habituellement la corruption et le conditionnement néocolonial des élites. La politique africaine est étranglée, prise en otage par des mécanismes difficiles à deviner et pénétrer. La réalité de la prétendue communauté internationale traduit sans ambages que l’organisation actuelle du monde est une mystification savamment élaborée pour ligoter les faibles.
L’enfant narrateur dénonce le conformisme sous toutes ses formes et invite son lecteur à une véritable « remise en cause en vue d’une remise en forme » des conventions sociales, intellectuelles, politiques, religieuses, scientifiques,… C’est comme si ce récit est une incitation à l’anticonformisme, à la réaction, à la révolution, à la Conscience.
Le texte dénonce l’individualisme inconscient mais réel érigé en règle de percée sociale, l’immobilisme et l’inertie. L’action isolée n’aboutit nulle part. La transmutation ne peut être un succès que si elle est l’expression de la conscience, de la clairvoyance et de la volonté collectives. Les illuminés qui croient pouvoir changer seuls le monde échouent nécessairement.
Sous couvert de sa Mère, l’enfant narrateur interpelle l’élite africaine et tous les leaders des structures sociocommunautaires qui ont pour fonction d’élever la population. Il faut sans plus tarder se libérer des préjugés, du confort matériel apparent et aliénant pour s’engager à divers niveaux non plus à la reproduction des logis préfabriqués mais à la construction des logiques créatrices, même si elles sont empruntées ou trafiquées.
Jean KAZADI KATUMBAY