Rôle Social Et Personnel Du Salon Funéraire

Le salon funéraire est un de ces lieux de la tristesse commune, incontournable et nécessaire. À rapprocher par cela du cimetière, le salon funéraire reste tout de même un lieu certain de guérison, où la vie côtoie certes mais la mort, mais sans tout à fait l’embrasser. Non, c’est plutôt le lieu où l’on apprend la fuite en avant que suppose la constance de l’existence que nous menons. Le salon funéraire, nous essaierons de le comprendre mieux à travers ces quelques lignes. Tout d’abord, nous parlerons de ce qui fait le salon funéraire, à savoir de ce qui nous permet de dire sans en douter : « cela est un salon funéraire. » Nous verrons qu’il se définit d’abord par son rôle, mais que cela lui modèle tout de même une image, et lui donne une forme à tout coup reconnaissable. Ensuite de quoi, nous nous intéresserons un peu plus en particulier à ces rôles qu’il revêt, d’abord du point de vue plus large de la société contemporaine, puis finalement du point de vue de l’individu.

Tout d’abord, le salon funéraire est reconnaissable aisément. Une moquette recouvre sans coup férir son plancher, de sorte que tous les déplacements y sont comme adoucis, plus feutrés. Quand l’emplacement de l’établissement le permet, le propriétaire du salon n’aura certainement pas manqué de le border d’un bucolique petit jardin, où les clients éplorés pourront chercher la solitude salvatrice dont ils auront peut-être besoin. L’intérieur lui-même est cloisonné en plusieurs petites pièces, destinées à accueillir les différentes cérémonies qui s’y déroulent dans une seule et même journée. L’ambiance y est douce, et même feutrée. Tout ce qui s’y passe est comme poli, délavé, comme si les morts qu’il avait accueilli avait été autant de vagues lissant ses formes. Voilà à quoi, même les yeux fermés, on reconnaîtra un salon funéraire. Car l’ambiance particulière qui s’y retrouve, à la fois imprégnée par l’omniprésence de la finitude et par la continuité qu’elle suppose, est puissante et vive. Ainsi est-il impossible enfin de saisir l’essentiel du salon funéraire en ne regardant que les vases fleuries qu’on y dépose, ou les fauteuils moelleux qui en meublent les différentes pièces. Il faut, plutôt, bien comprendre le sens des cérémonies funèbres qui s’y tiennent.

Ces cérémonies d’abord sont un rite social par excellence, destiné à transformer la mort en quelque chose de compréhensible pour les vivants. C’est enfin cela de précis : nous savons que nous nous trouvons face à une chose insondable, dont la profondeur dépasse notre entendement. Notre finitude est une limite en nous-même que notre pensée ne peut franchir. Ce besoin de comprendre entraîne cette volonté suprême du rituel. Nous voulons qu’au final, cette irréductible question de la mort soit résumé par quelques larmes, par une réunion, par une cérémonie rituelle. C’est cela qu’offre le salon funéraire. En cela d’ailleurs, il se rapproche des emplacements religieux traditionnels. Toutefois, le salon funéraire est une nouveauté nécessaire qui représente un terrain neutre. Elle reflète l’apparition d’une réalité nouvelle, d’un métissage des cultures, réalité qui ne peut souffrir de ne point avoir ses représentations symboliques. C’est donc là, dirons-nous, la nouvelle fonction sociale qu’il fallait combler. Devant la complexification des paradigmes existentiels, nous nous tenons, debout, et avons ce nouveau besoin. Le salon funéraire est ce lieu social créé pour ce nouveau besoin, façonné au premier chef par celui-ci.

Nous parlions de complexification des paradigmes existentiels : c’est là un point important qu’il nous faut souligner encore davantage. Car ces nouveaux paradigmes, s’ils s’inscrivent d’emblée dans ce mouvement de mélange des cultures et d’ouverture des frontières, ont aussi une composante philosophique plus humaine, tournée vers l’individu. C’est ainsi que cette nouvelle conception, plus laïque, de l’esprit humain est à la source du salon funéraire.

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