Un expert de l’angoisse, ayant essuyé de nombreuses thérapies sans succès, subi de nombreux bombardements de pilules aux couleurs toutes plus étranges les unes que les autres et aux effets parfois pervers, offrant un monde pour le moins artificiel, souvent avec une option à vie, pour soit disant faciliter un retour à une réalité plus naturelle. Bref, un être épuisé de lutter avec lui-même dans une recherche de bien être, apparemment de plus en plus chimérique.
Un beau jour, ayant atteint ses limites, il tenta le tout pour le tout.
Armé de son indestructible stress et de son anxiété, il décida, pour la première fois de sa vie, de se rendre à l’autre bout du monde pour questionner les grands sages bouddhistes.
Durant tous les préparatifs de son voyage, il se soucia, plus que la raison ne l’invitait à le faire, d’anticiper les moindres détails, tous les éventuels dangers qu’il pourrait rencontrer en chemin, les problèmes de santé possibles etc. … En fait, il pensa tellement à son voyage en fonction des éventuels obstacles à éviter, qu’il en oublia de regarder les sites intéressants et les beautés que lui offrirait ce pays lointain. Ces préparatifs exigèrent toutes ses forces et son énergie, tellement il était préoccupé par des scénarios d’un futur imaginaire, souvent reliés à des souvenirs de son passé avec lesquels il établissait des liens, plus ou moins plausibles mais qui lui procuraient, somme toute, l’impression de contrôler les choses. C’est d’ailleurs à cause de ce que son grand père lui avait raconté au sujet des terroristes aériens qu’il valait mieux éviter ce moyen de transport. Peur qui fut réveillée et renforcée, quelques années plus tard, par les spectaculaires images des attentats du 11 septembre. Il repoussa du coup tous ses rendez-vous professionnels importants, délaissa ses amis uniquement pour s’occuper de ce projet et ne pas regretter d’omettre quoique ce soit. Ses amis lui dirent qu’il ne pouvait complètement cesser de vivre pour ce seul et unique projet mais il n’avait que faire de leurs conseils. Il voulait leur montrer, au moins une fois dans sa vie, qu’il est meilleur qu’eux, plus courageux et riche.
Le jour J arriva, enfin ou déjà, il ne le savait plus vraiment. Et c’est avec un cœur vibrant à la même intensité que la terre ne le ferait lors d’un tremblement, qu’il prit l’avion.
Durant le vol, il repensa aux dernières semaines qui s’étaient écoulées et il se félicita de cet exploit. Afin de toujours se souvenir de ce qu’il avait fait et des règles définies pour réaliser cette décision, il en vain à dresser une courte liste, qu’il intitula : « Petit manuel d’un voyage réussi ».
En voici l’essentiel :
– Chercher les problèmes pour mieux les éviter,
– Voir les choses de façon ardue,
– Toujours rester sur les mêmes chemins, les plus connus,
– Fermer les yeux quand des lumières s’allument,
– Reporter ce que j’ai à faire,
– Se juger très sévèrement et se comparer aux autres,
– Rester dans l’incompréhension des autres en conservant ses positions et points de vue.
– S’en demander encore et toujours plus,
– Et continuer de faire ce que je n’aime pas, de se forcer. »
Après de nombreuses heures de vol, l’avion atterrit enfin.
L’expert anxieux, gonflé à bloc de stress, décida sans perdre une minute de parcourir le pays selon son itinéraire, à la recherche d’un de ces sages qui lui apprendrait le secret du calme.
Il parcouru des kilomètres et des kilomètres, sur des routes toutes plus cabossées les unes que les autres. Il visita les coins les plus reculés du pays, écoutant à peine la fatigue que son corps lui procurait, pour supplier un peu de repos. De toute façon, il était dans un tel état de nervosité qu’il lui était impossible de trouver le sommeil. Et il chercha, chercha, pendant les quatre semaines que durèrent son voyage mais il ne trouva aucun sage.
Déçu, épuisé, amaigri, il dû se résigner à prendre la direction de l’aéroport pour son vol de retour.
Alors qu’il parcourait les derniers mètres à pied, perdu dans son monde, il heurta un vieil homme et échappa ses bagages.
L’expert anxieux lui adressa aussitôt une pluie de colère et de reproches, tout convaincu qu’il était de son innocence. Le vieil homme demeura stoïque, attendant patiemment que le touriste enragé reprenne ses esprits, puis lui dit ceci :
« J’espère que cet incident ne vous laissera pas un mauvais souvenir de votre séjour parmi nous?
Et le voyageur répondit : « Oh!! De toute façon, un peu plus ou un peu moins, tout mon voyage n’a été qu’une série d’incidents désagréables. »
Ce à quoi le vieille homme ajouta : « Ce qui compte dans la vie, au delà de ce qui nous arrive, ce n’est pas ce que l’on fait mais surtout ce que l’on en retire. Ainsi, la prochaine chose que vous réaliserez dans votre vie reflètera cette nouvelle richesse ».
Le voyageur s’excusa et se dirigea vers son avion, où l’attendait un autre voyage, en songeant au petit manuel du voyage réussi qu’il avait rédigé quelques semaines plus tôt…
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