LA CUISINE SINO-CANADIENNE : DE L’ART TRADITIONNEL À LA QUÊTE IDENTITAIRE

container.jpgLA CUISINE SINO-CANADIENNE : DE L’ART TRADITIONNEL À LA QUÊTE IDENTITAIRE 

Aujourd’hui Montréal, l’Amérique du Nord en général, regorge de nombreux restaurants chinois dont plusieurs furent ouverts par des immigrants d’origine chinoise venus aider à la construction du chemin de fer au début du XIXème siècle. Contraints et victimes de discrimination, les Chinois d’Amérique gagnaient leur pain dans les buanderies installées en ville à l’époque ou ouvraient une échoppe dans les quartiers de la gare ou près du port de Montréal. Longtemps des lieux de vices et de débauche, ces restaurants ont dès l’après-guerre recouvré l’estime et l’appréciation des Canadiens amoureux d’exotisme et d’aventure. Aujourd’hui, la cuisine chinoise fait désormais partie intégrante de l’alimentation des Canadiens. Ce ne fut pas sans peine pour grand nombre des cuisiniers qui se donnaient comme première mission de satisfaire le palais occidental habitué au sucré.  »Les Occidentaux n’aiment pas la Conjee (soupe de riz) alors je prépare entre autre du poulet avec une sauce à l’ail dans laquelle j’y ajoute du sucre pour adoucir le goût de l’ail »précise Monsieur WEI, originaire de Canton et propriétaire du restaurant SUN KAM DO à Montréal.

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Au fil des décennies, de nombreux chefs furent contraints d’adapter leur cuisine en fonction des ingrédients disponibles en Amérique du Nord. Ainsi ils servirent des recettes typiquement sino-nord-américaines appelée la cuisine Chuop Suey encore aujourd’hui présentes dans de nombreux restaurants au décor fortement inspiré du courant orientaliste.  »Nous trouvons tout ce qu’il nous faut à Montréal. A l’époque, les premiers cuisiniers ont dû improviser dans les sauces en fonction des ingrédients. Aujourd’hui, je fais comme tout le monde, je suis leur recette » affirme Monsieur WEI. Quant à lui, Monsieur Thomas FUNG, originaire d’Hong Kong et ancien propriétaire de franchise Tiki Ming spécialisée en restauration rapide, a préféré opter pour de la cuisine panasiatique dite traditionnelle. Les clients, selon lui, sont bien plus informés, exigeants et connaisseurs qu’à l’époque.

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(photos : M. WEI & le poulet Général TAO)

 

Une autre spécialiste, cette fois ci, peu ordinaire, Karen TAM, une jeune artiste multidisciplinaire montréalaise d’origine chinoise (http://www.karentam.ca/). Fille de restaurateurs, elle consacre aujourd’hui une grande partie de son art aux restaurants chinois d’Amérique du Nord dont le projet Restaurants Montagne d’Or présenté dans de nombreuses galeries d’art nord-américaines qui dévoile avec brio le parcours difficile de bon nombre d’immigrants chinois mais aussi décrit avec humour la décoration particulière des restaurants souvent exagérée qui n’a rien de bien chinois!

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(photo : Karen TAM et son père)

 

Nostalgique de voir changer les intérieurs de ces maisons sino-canadiennes Chop Suey en de vastes salons aux murs blancs qui s’installent de plus en plus en Amérique, Karen TAM nous énumère au bras de son père quelques spécialités locales comme le poulet Général Tao et le biscuit de fortune.  »Je trouve cela triste de les voir disparaitre, j’ai grandi dans l’une d’elles. De les utiliser dans mon art, c’est rappeler l’histoire des maisons Chop Suey mais aussi une façon pour moi de rendre hommage à mes parents et à tous les Chinois d’Amérique du Nord ».

Hormis les nouilles à la Shanghaienne, le Mee goreng malaisien, le phad thai, les crevettes style Beijing, les vermicelles de riz à la Singapour et autres canard à la pékinoise, les Chinois de Montréal préfèrent toutefois de loin le pigeon. A 20 dollars canadiens la pièce, il se vend uniquement en de rares occasions. Le riz et les frais de transport de plus en plus chers obligent les restaurateurs à augmenter leur prix jusqu’à 20%. Un vrai casse tête pour bon nombre d’entre eux dépendant du marché mondial actuel. Des enjeux considérables pour plusieurs qui ont consacré de nombreuses années de leur vie dans un commerce aujourd’hui en perte de vitesse.  »Tout est plus cher, je dois m’ajuster, j’ai augmenté de 10% ma carte. Rien n’a changé, j’ai toujours autant de clients mais jusqu’à quand » précise Monsieur WEI, installé à Montréal depuis plus de 23 ans. quartier-chinois-mtl.jpg

(photo: rue de la Gauchetière, Quartier Chinois de Montréal)

Deux cultures deux mondes qui se rencontrent autour d’une assiette qui au fil des siècles de vie partagée, créent des liens, alimentent le souvenir d’une Chine d’antan et le rêve de la découvrir un jour mais surtout révèle les enjeux liés aux phénomènes migratoires et à une véritable (re)construction identitaire.