L’écriture manuscrite ou la main, outils pédagogique

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L’écriture manuscrite ou la main, outils pédagogique

Dans nos sociétés automatisées, robotisées, « électronisées », informatisées, « internetisées », on a tendance à oublier un « instrument » pourtant essentiel, que nous avons tous à notre portée, la main. Il faut toutefois reconnaître que cette méconnaissance ou dévalorisation ne date pas d’aujourd’hui, si l’on en juge par les propos suivants, dont il serait peut-être judicieux de suivre les conseils.

« On oublie (à l’école) que l’intelligence est essentiellement la faculté de manipuler la matière, qu’elle commença du moins ainsi, que telle était l’intention de la nature. Comment alors l’intelligence ne profiterait-elle pas de l’éducation de la main ? Allons plus loin. La main de l’enfant s’essaie naturellement à construire. En l’y aidant, en lui fournissant au moins des occasions, on obtiendrait plus tard de l’homme fait un rendement supérieur ; on accroîtrait singulièrement ce qu’il y a d’inventivité dans le monde. Un savoir tout de suite livresque comprime et supprime des activités qui ne demandent qu’à prendre leur essor. Exerçons donc l’enfant au travail manuel, et n’abandonnons pas cet enseignement à un manœuvre. Adressons-nous à un vrai maître, pour quil perfectionne le toucher de lenfant au point den faire un tact : l’intelligence remontera de la main à la tête. »

Ces quelques lignes, qui peuvent surprendre par l’association établie entre main et intelligence, ne sont pas d’un pédagogue, mais d’un philosophe. Et elles apparaissent dans un texte qui n’est pas précisément terre à terre, puisqu’il s’agit de La pensée et le mouvant, du philosophe Henri Bergson.

Du reste, Bergson n’est pas le seul philosophe à s’être intéressé à la main et à y avoir associé le développement de la personne. Dès l’antiquité, la main suscite la réflexion. Dans une tragédie de Sophocle (v. -495 -406), on peut lire cette affirmation: « L’Homme est devenu savant, grâce aux ressources de ses techniques procurées par la main. » (Antigone, v. 332-334) Aristote (-384 -322) avait souligné avec précision l’importance de la main qui « est capable de tout saisir et de tout tenir. » E il s’en explique : « En effet, l’être le plus intelligent est celui qui est capable de bien utiliser le plus grand nombre d’outils : or la main semble bien être non pas un outil, mais plusieurs. Car elle est pour ainsi dire un outil qui tient lieu des autres. » Ailleurs, Aristote définit la main comme « un instrument d’instruments », dont la fonction est de prendre et de tenir. Or précisément, ne passe-t-on pas de la préhension à la compréhension ?

« L’homme n’aurait jamais atteint sa position prépondérante dans le monde sans l’usage de ses mains, instruments si admirablement appropriées à obéir à sa volonté écrit Darwin… Les mains de l’homme devenant son moyen de survie ont très certainement participé au développement de ses capacités intellectuelles puisque leurs actions sollicitent complètement les aptitudes de son cortex cervical. »

La main est l’organe même d’exploration de l’être humain. De par sa structure anatomique complexe, elle permet une prise de connaissance perfectionnée de ce qui nous entoure. La multiplicité de ses mouvements articulatoires permet une saisie multidimensionnelle des objets, elle permet d’en prendre connaissance et, par là-même, de comprendre, d’apprendre et, par la suite, d’entreprendre. Il est du reste important de noter que dans cette action de la main qui explore, connaît et reconnaît, il y a deux composantes complémentaires. Il y a le toucher, qui permet de sentir la nature de l’objet ou son aspect extérieur : rêche, lisse, écailleux, dur, mou, etc., et il y a la sensation kinesthésique provoquée par les contractions musculaires, la proprioception, qui permet de prendre connaissance de la forme, de la dimension, de la situation spatiale de l’objet et qui se répercute dans le système nerveux central. L’activité de l’écriture fait incontestablement appel à cette double appréhension. Les doigts, la main sont en contact avec le crayon ou le stylo et avec le papier ou le clavier d’une machine, tandis que le système sensori-moteur exécute les mouvements requis pour la production des lettres.

Ces considérations convergentes, sommairement résumées (pour plus de détails, voir notre présentation au Forum de l’AAM, disponible à SER > Forum AAM) ont-elles quelques fondements ou quelques correspondances biologiques ? Ne sont-elles que le fruit de réflexions poético-philosophiques ? On apprend avec un cerveau, on ne saurait l’oublier Certaines indications provenant des recherches semblent bien apporter un soutien au rôle clé de la main dans l’apprentissage.

Dans le cortex somato-sensoriel, cette mince couche de neurones, la matière grise, qui se trouve à la surface du cerveau, les mains tiennent une place très importante et, comme le montre de récentes études citées plus loin, la main est un instrument cognitif d’importance. Quelle que soit la complexité des mécanismes neuronaux en jeu, la stimulation sensorielle sert de point de départ à la pensée, puisque celle-ci « est une sorte de reconstruction mentale du monde extérieur » (le neurologue P. Chauchard), à partir des perceptions reçues et de leur organisation.

Un exemple : encourager les petits à compter sur leurs doigts ne serait pas une mauvaise idée, bien au contraire. Des travaux récents démontrent que la représentation de la grandeur des nombres stimule les neurones du lobe pariétal, qui est aussi associé à la représentation des objets dans l’espace. Les méthodes d’enseignement qui combinent à la fois les nombres et leur représentation spatiale seraient ainsi les meilleures. Compter sur ses doigts devient alors une stratégie d’apprentissage logique, pour les petits ( Steve Masson, congrès de l’Association québécoise des enseignants du primaire).

La perception de l’espace qui nous entoure, à droite, à gauche, en avant, en arrière, est un élément essentiel dans l’apprentissage et des perturbations de cette appréciation, ou des lacunes, peuvent retentir sur des comportements ou des activités. Pour pouvoir comprendre et apprendre avec efficacité, il faut que la main se situe avec précision dans l’espace et dans le temps. Et certaines difficultés d’apprentissage semblent bien en relation avec le rôle important de la main.

Des expériences faites avec de simples exercices de synchronisation manuelle et les résultats obtenus semblent l’indiquer, au moins pour un certain nombre de cas : lancer d’une balle contre un mur avec reprise précédées d’un demi-tour, échange à distance d’un ballon repris et relancé à deux mains, jeux de bâton à la manière de deux des majorettes, écriture simultanée des deux mains, pour citer quelques exemples. La main, bien orientée, est plus qu’un instrument de développement matériel ; elle est aussi l’instrument du développement intellectuel et même de l’insertion sociale. Et l’on peut se demander si l’accent mis de nos jours sur la machine, sans une valorisation concomitante de la main, n’induit pas pour une part des problèmes de société des pays industrialisés.

La main doit donc trouver sa place dans un schéma pédagogique. Si elle ne la trouve pas, des troubles d’apprentissage risquent de survenir. L’exemple type est celui du langage qui se déroule linéairement. Pour lire, il faut donc décoder un système selon un processus linéaire allant de gauche à droite (langues européennes), avec retour « à vide » vers la gauche, changement de hauteur c’est-à-dire orientation vers le bas, pour passer d’une ligne à l’autre. Au cours de cette opération, toutes les lettres, tous les mots doivent être traités également de gauche à droite. Autrement dit, le sens directionnel général, gauche → droite commande la perception globale du texte (sens des lignes) et la lecture détaillée des composantes (mots et lettres), auquel s’ajoute un mouvement haut ↓ bas.

Tout ceci suppose une parfaite adaptation à des orientations spatiales précises, sous peine d’erreurs ou de difficultés de lecture. L’acquisition de la gymnastique spatiale nécessaire est à la base de l’acte de lecture qui comprend donc plus que le décodage de lettres. D’où l’intérêt d’activités comme la représentation spatiale de la forme des lettres avec les doigts, et de l’écriture manuelle, qui ajoute à ces dimensions linéaire et spatiale la commande de mouvements manuels.

Écrire, c’est traduire le langage selon un code spatial comportant à la fois des mouvements de gauche à droite, avec retour à gauche vers la zone de départ pour la direction générale de l’écriture, et des mouvements plus fins de gauche à droite, de droite à gauche, de haut en bas, de bas en haut, circulaires ou semi-circulaires, pour la réalisation graphique des lettres. Il semble évident que l’encodage écrit nécessite une adaptation de la main qui écrit au découpage spatial conventionnel et ceci, que l’on écrive de la main droite ou de la main gauche, et une coordination complète de la main elle-même et de sa contre-main, c’est-à-dire du pouce.

Les études présentées au colloque « L’écriture dans tous ses états » de l’Université d’Aix-en-Provence sont très intéressantes de ce point de vue. Dans « L’apport cognitif de la main : clavier ou écriture manuelle? », les auteures se demandent si le « délaissement de la main – au profit de la machine – risque d’entraîner des pertes de compétences ».

Il ressort de leur étude que « sur l’ensemble des sujets, le nombre de fautes commises en écriture manuelle est significativement inférieur à celui constaté en mode clavier… Si la main se révèle supérieure au clavier en ce qui concerne les fautes de français, l’expérience présentée ne permet pas de décider quel est le facteur explicatif : acquisition manuelle de l’écriture ou ressources attentionnelles plus confortables en manuel.…»

L’explication vient peut-être d’une autre étude : « La Main écrit sur le Papier et … sur le Cerveau ». Voici la conclusion : « Les messages proprioceptifs issus de la main qui écrit ou dessine semblent donc être non seulement des « descripteurs sensoriels et perceptifs » des trajectoires graphiques réalisées, mais aussi porteurs du sens de ce que la main écrit. Ainsi, l’acte même d’écrire est une source d’informations à caractère cognitif susceptible d’intervenir, au même titre que les informations visuelles et auditives, dans la spécification symbolique des caractères écrits et par là dans les apprentissages linguistiques. »

Autrement dit, le geste moteur de l’écriture transmet au cerveau une information sur la forme des lettres et leur enchaînement en écrivant de mots, de phrases. Le geste sensoriel est donc porteur d’informations cognitives qui, comme le montre une autre étude, se répercutent sur la lecture : « Le stylo et le clavier. Notre mode d’écriture influence-t-il notre perception de l’écrit ».

En conclusion, disent les auteures, nos « études indiquent que la représentation cérébrale des caractères inclut une composante sensorimotrice qui serait mise en place au moment de l’apprentissage de l’écrit et qui semble réactivée lorsque nous regardons les caractères. Par ailleurs, cette composante aurait un rôle fonctionnel en favorisant la mémorisation des caractères appris. Ces résultats soulignent l’existence de liens fonctionnels étroits entre écriture et lecture. S’ils sont confirmés par d’autres études, ils suggèrent que notre façon d’écrire pourrait influer sur notre façon de lire. »

La main joue donc un rôle capital en pédagogie fondamentale. La célèbre formule de G. Révész, « Votre destin est vraiment entre vos mains, ou mieux en ce que vos mains créent ou font » (The Human Hand), même à partir d’un simple crayon, ne peut que faire réfléchir et porter à la main une attention toute pédagogique, aussi bien de la part des parents et des enseignants, que des intellectuels et des décideurs.

 

 

 

 

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