Touraine rejette tout déremboursement des lunettes de vue

La Cour des comptes, qui dénonce un marché «opaque et peu concurrentiel» de l’optique, préconise un «nouveau partage des rôles» entre l’assurance-maladie et les complémentaires. La ministre de la Santé refuse un désengagement total de la Sécurité sociale.

La Cour des comptes propose « un nouveau partage des rôles » entre la Sécurité sociale et les complémentaires dans le domaine de l’optique.
Voici la problématique: Comment s’y prendre pour que les lunettes de vue coûtent moins cher et soient correctement remboursées ?

La Cour des comptes s’est attaqué à cette question difficile il y a quelques semaines, en partant d’un constat sévère. Les dépenses d’optique en France s’élèvent à presque 90 euros par an et par habitant, soit deux fois plus que la moyenne en Europe ! La Cour qualifie ainsi le marché «opaque […] et peu concurrentiel », au travers de Didier Migaud, premier président de la Cour.
Le nombre d’opticien a littéralement explosé ces dernières années : on recense plus de 11.000 points de vente, 43 % de plus qu’il y a dix ans ! Cela paraît incroyable, mais malgré cette saturation, le chiffre d’affaires par magasin dépasse 500.000 euros en moyenne, une somme là encore beaucoup plus élevé que chez nos voisins. Chaque magasin ne vend en moyenne que 2 ou 3 paires de lunette par jour.
D’après la Cour, le cout de fonctionnement d’un magasin repose trop lourdement sur les consommateurs, d’autant plus que « L’accroissement rapide du nombre de points de vente conduit chaque opticien à répercuter ses frais fixes sur un volume de ventes moins élevé, ce qui augmente le prix unitaire ».

Le rapport de la Cour sur la Sécurité sociale.

Une prise en charge « dérisoire »

Cette folie des prix coute cher aux assurés. La prise en charge par la Sécurité sociale reste « dérisoire ». Les paires de lunettes les plus vendues ne sont remboursées qu’à hauteur de 9,20 euros par la caisse d’assurance-maladie. Le taux de prise en charge moyen n’est plus que de 3,6 %.
Les mutuelles, assurances et institutions de prévoyance prennent en charge plus de 68 % de la dépense, « soit près de 20 fois la part de l’assurance-maladie ». Grâce à la montée en puissance des complémentaires dans le domaine de l’optique, les assurés ne paient de leur poche « que » 26 % du prix de leurs lunettes, contre 37 % en 2006. Mais cette amélioration s’est faite au prix d’une hausse du prix des contrats. Indirectement, le prix repose toujours sur les consommateurs.
De plus, les niveaux de remboursement sont très inégaux. Les contrats haut de gamme, mais couteux, permettent aux assurés de ne pratiquement rien débourser, tandis que d’autres « ne bénéficient que d’une prise en charge complémentaire faible voire parfois nulle ».

Ralentir les dépenses

Cette situation « n’est pas acceptable », a déclaré Didier Migaud. A partir du moment où les complémentaires sont devenues prépondérantes, il faut renforcer leur pouvoir d’intervention. D’abord en favorisant le développement des réseaux de soins, qui permettent aux complémentaires de peser sur les prix en référençant des opticiens. Ensuite, en leur donnant accès aux données anonymes de l’assurance-maladie, pour mieux contrôler ce qu’elles remboursent.
La Cour va plus loin en proposant « un nouveau partage des rôles » entre la Sécurité sociale et les mutuelles. Dès lors que le gouvernement affiche son intention de généraliser l’accès aux complémentaires à l’intégralité de la population, on pourrait « à terme » envisager «  la suppression de l’intervention de l’assurance-maladie obligatoire pour l’optique et sa prise en charge au premier euro par les complémentaires ».

« Il n’y aura pas de déremboursement », a déclaré la ministre de la Santé, Marisol Touraine. Selon elle, il faut « traquer les excès lorsqu’il y en a et réaliser des économies quand c’est possible ». «  On s’aperçoit qu’il y a de marges importantes sur l’optique, des différences assez étonnantes et qu’on est en droit de questionner… «  Je ne peux pas me résigner à l’idée que les lunettes deviennent un produit de luxe quand on sait que, évidemment, c’est quelque chose d’essentiel. Ce qu’il faut, ce sont des produits de qualité à un prix accessible », estime-t-elle.