Le château mirroir

Le symbole ultime du pays. Il domine Vilnius du haut de son trône éternel, fortifié par l’homme, mais affaibli par le temps. A ses pieds, le temps s’écoule dans les flots des deux rivières, rivales éternelles qui se battent incessamment pour l’amour de leur espoir unique. Mais cette querelle ne le concerne guère. Fier, il ne remarque pas l’indifférence, la haine ou l’adoration que les vilnusiens lui ont porté au cours des années, des décennies, des siècles. Le Haut Château de Vilnius est le miroir de l’Histoire et de l’espoir de toute la ville.

Né du grand Duc païen Gédiminas pour montrer que désormais est là, à Vilnius, la capitale de la Grand Duché de Lituanie. Renforcé d’avantage par son fils Vytautas Le Grand qui a fait la gloire de la Lituanie en l’étendant jusqu’à la Mer Noire.  Puis les obstinés de l’époque ont remplacé le pouvoir païen mystérieux par la chrétienté rationnelle. Les Grands Ducs ont délaissé Le Haut Château de Vilnius au profit des merveilles étincelantes de Cracovie. De deux pays – la Lituanie et la Pologne, il ne restait qu’un, plus grand et plus fort. Et le temps, le seul maître des lieux depuis a commencé son affaire en rongeant la brique rouge, les herbes ont envahi les salles jadis somptueuses, la mousse a  noirci les pierres autrefois grises. De tout le château, il ne restait plus qu’une tour à l’Ouest, penchée, malade et langoureuse de son passé glorieux.

Les époques se succèdent et dans les confins des mondes, ses successions sont parfois que trop radicales. Après la République Lituano-Polonaise, le libérum véto des nobles, la première Constitution d’ Europe ayant devancé de quelques années celle de la France, le joug de la Russie tsariste s’abat telle une malédiction sur le pays à la toute fin de XVIIIème siècle. Alors, la vieille tour transformée en prison, sous la pluie et sous la grêle devenait le symbole même du siècle d’esclavage à venir. La ville à ses pieds changea soudain elle-aussi.  A bas les petites ruelles! Vive l’ « Hausmanisation », la lumière, laissons circuler l’air! L’héritage?  On  s’en moque, ce n’est pas le nôtre.

Des quatre étages de la tour après toute cette humiliation, il n’en subsiste que deux.  Deux pauvres étages… Que reste-t-il de son passé glorieux? Des conquêtes de la Mer Noire, des libertés excessives? Il a fallu attendre presque cent ans encore,  tandis qu’au dessus de la ville s’élevait les drapeaux polonais, allemand et soviétique, tandis que ce trône du château fut transpercé par les tunnels de prétendues fortifications nazies, pour qu’on se décide enfin à redonner de l’importance à notre passé.

Maintenant, le tumultueux passé reste derrière et il est à l’abri de la menace du temps. Il est à l’abri des injures qui l’ont transformé en prison, en café, en tour de télégraphie. Il est maintenant ce pour quoi il était destiné. Le miroir de la ville.  Le reflet de notre existence et de notre liberté qui nous rend fiers de l’époque que nous vivons.

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