Vendredi 15 septembre, 18h00
Cela fait longtemps que je n’ai plus ouvert mon journal. Sans doute parce que je n’en ressens pas le besoin. J’ai déjà remarqué que je l’oublie quand tout va bien et je retourne vers lui lorsque quelque chose cloche dans mon existence.
C’est curieux ! Oui, très curieux, parce qu’aujourd’hui, je n’ai aucun souci. Ce vendredi est à marquer d’une pierre blanche dans ma carrière. Je l’ai enfin obtenue, cette promotion. Les collègues en sont restés bouche bée, au bureau. Ils croyaient que Youn l’emporterait à ma place. Mais le mérite finit toujours par gagner.
Alors pourquoi devrais-je me sentir mal ? Jane m’a déjà laissé entendre que, finalement, elle accepterait de dîner avec moi si je le lui demande à nouveau. Encore un sale coup pour Youn qui en est bleu depuis son arrivée au sein de notre équipe.
Bah ! C’est son problème, pas le mien ! Autant profiter de la chance tant qu’elle s’occupe de moi.
Tout est cool ! ! !
Vendredi 15 septembre, 19h30
Quand même, Youn n’avait pas l’air en forme après l’annonce de ma promotion. Dois-je me sentir coupable ? Dans la vie, c’est chacun pour soi. Il aurait fait la même chose s’il avait pu. Je n’ai pas à avoir de remords. De toute façon, je bosse en vue de ce poste depuis si longtemps que je ne vais pas bouder mon plaisir. Je dois me concentrer sur mes nouvelles responsabilités si je veux que la roue ne tourne pas à nouveau.
Assez d’états d’âme ! Tout est pour le mieux !
Vendredi 15 septembre, 20h45
Je reviens encore à ma formidable journée. Pourquoi ? Oh ! Je sais ! Le petit gueuleton aux sushis que je viens de faire me rappelle les bons souvenirs passés avec Youn. Je ne peux pas oublier que nous sommes entrés ensemble dans cette boîte et qu’il a toujours été sympa avec moi. Il est moralement très fort, mais un peu trop effacé. Je le lui dis souvent. Moi, on m’a appris qu’il faut se battre pour faire sa place. Je le pousse souvent à se faire plus remarquer, mais rien à faire. Ce soit être une tradition ancestrale chez les Asiatiques : humilité et modestie.
Il n’arrivera jamais à rien comme ça. Si ça continue, je devrais prendre mes distances avec lui, sinon les autres vont croire que je fais du favoritisme. Tant pis pour lui ! Au fond, nous avons les mêmes compétences, mais je les montre mieux que lui.
Allez, j’arrête de me faire du mouron. Je ne suis pas sa mère, après tout, et si je l’avais été, je l’aurais éduqué afin de le rendre plus agressif.
Il me reste à finir cette journée en beauté avec un bon film et ensuite, une bonne nuit de sommeil me retapera après toutes ces émotions.
Vendredi 15 septembre, 23h50
Décidément, quelque chose ne va pas. Je n’avais pas le coeur à regarder un film, alors j’ai bouquiné 20 minutes avant de me décider à dormir. Mais voilà ! Pas moyen de trouver le sommeil. Il y a quelque chose qui cloche chez moi. J’ai un superbe job ; une promotion ; mon salaire va être revu à la hausse dès lundi ; les filles au bureau me regardent déjà autrement ; mon avenir est pavé de lingots de bonheur… Alors quoi ?
Le visage de Youn m’apparaît constamment. Il me jette un regard triste et je suis pétrifié de honte. Nom de Dieu, j’ai fait ce que je devais, personne ne peut me reprocher d’être le meilleur…
Et puis merde, Youn, fous-moi la paix et laisse-moi dormir !
… Il est minuit trente !
Ça fait plus d’une demi-heure que je regarde ce foutu journal sans penser à rien. Youn me nargue. Son petit sourire au coin des lèvres en dit long sur son opinion. Il sait qu’il est en train de gagner. J’ai déjà vu cette expression sur ses lèvres, la dernière fois où nous tentions de résoudre un fameux bug informatique. Il avait trouvé la solution et me laissait chercher comme un idiot. Il jouait avec mes nerfs. Sa solution était géniale. Un coup de maître ! Mais le lendemain, nous avions prétendu avoir résolu le problème à deux.
Et puis quoi, on travaille en équipe, non ?
Une heure du mat’…
Son image m’obsède ! J’ai tout à coup le sentiment qu’il m’a vu prendre son rapport.
Bon, d’accord ! Je m’en suis pas mal inspiré pour rédiger le mien, ce fameux rapport qui m’a valu ma promotion.
Mais est-ce ma faute s’il n’a pas pu remettre le sien à temps ? Il n’a qu’à faire attention à ses affaires !
Deux heures du mat’…
Ce qui m’ennuie, c’est que je savais où était son rapport… là où je l’avais laissé. Le problème, c’est que ce n’était pas où je l’avais pris.
Si je le lui avais dit, il aurait découvert que je l’avais emprunté, et je n’aurais pas supporté cette idée. Il m’aurait encore regardé avec son sourire moqueur. Mais il ne m’aurait fait aucun reproche, ce qui m’aurait mis hors de moi. Jamais immodéré, Youn ! Trop effacé, je le répète.
Tant pis pour lui !
Trois heures du mat’…
Merde ! Je suis un salaud ! Je ne pourrai plus jamais me regarder dans un miroir.
C’est décidé : lundi, je démissionne !
Journal fictif de deux collègues de bureau. Dans cette première partie, Marc nous livre ses états d’âme concernant sa promotion au détriment de son collègue et ami. Le point de vue de son collègue dans un autre article très bientôt. Revenez nous voir :-)