Vendredi 15 septembre
Ça y est. Je suis arrivé à mes fins. Aujourd’hui, Marc a eu sa promotion. Il était heureux, mais j’ai senti chez lui une gêne à mon égard. Pourquoi ? Les Occidentaux manquent singulièrement de cohérence. Ils peuvent vouloir quelque chose au point de tout risquer pour atteindre leur but et, lorsqu’il est enfin à leur portée, ils hésitent, se tâtent et ont des remords. Il vaut mieux réfléchir à toutes les conséquences de nos actes avant de les commettre.
Je suis content pour lui. Il est très compétent et mérite ce poste. Bien sur, on pourrait hésiter entre nous pour décider qui est le plus méritant, mais la différence ne serait jamais que d’un cheveu. Il le voulait plus que moi, alors pourquoi lui barrer la route. Au moins, je n’ai pas à me battre avec ma conscience et je ne crains pas le regard des autres.
Nombreux sont ceux qui prétendent que je n’ai pas d’ambition. Comment leur expliquer que l’ambition n’est pas tout dans la vie, en tout cas, l’ambition professionnelle. Se sentir bien dans sa peau est à mes yeux plus important que de vaincre tous les obstacles. Et puis, j’ai un job qui me plaît. Monter dans la hiérarchie signifie faire moins ce que j’aime et devoir diriger les autres, ce qui est source de nombreux problèmes. J’ai horreur des conflits.
Et puis c’est également prendre le risque de changer d’équipe. J’aime beaucoup les collègues de bureau. Bien sûr, en ayant eu la promotion, Marc risque de changer de bureau, mais il reste les autres.
J’ai quand même un peu honte de moi, même si je n’ai rien fait. Peut-on être manipulateur par le simple fait de laisser faire les autres ? Car en fin de compte, Marc a agi seul, à mon insu. J’aurais pu l’en empêcher, mais j’ai fait semblant d’ignorer son geste. Suis-je coupable de l’avoir laissé commettre cet acte de trahison ? Est-ce une trahison ?
Évidemment, lui doit le penser. Il se sent très mal à cette idée. Cependant, même s’il l’a fait en sachant que c’était mal, est-il coupable de quoi que ce soit, étant donné que son plan arrangeait le mien ? Un assassin est-il coupable si sa victime est convaincue de vouloir se suicider ?
Paradoxe.
Oui, je l’ai vu prendre mon rapport, le copier ouvertement et le replacer de façon à le rendre introuvable. Je l’ai laissé faire ça. Il m’a rendu service et cela le blanchit à mes yeux, s’il n’y avait son intension. Mais sur le coup, je me suis rendu coupable de complicité d’un acte odieux, dans mon propre intérêt et à son détriment, ce qu’il ignore.
Il me croit effacé… à tort. Car je suis seulement plus prévoyant. Je sais que les chefs de service sont déplacés vers un autre département. Et habituellement, ils ne tiennent qu’un an, après quoi ils se font virer, à moins de donner eux-mêmes leur démission, dégoutés. Plus haute sera la chute, plus mal elle fera.
J’étais heureux qu’il me donne une bonne raison de rater cette occasion. Et puis une fois parti, je serai le seul célibataire de l’équipe. Jane s’intéresse de plus en plus à moi. Depuis sa promotion, Marc pense avoir un ticket avec elle, mais ça passera. Loin des yeux loin du coeur. Et j’aurai le champ libre. J’ai été patient avec Marc, mais il n’a pas été à la hauteur de ma confiance. Il a cru me doubler, et ce faisant, s’est écarté de lui-même de ma route. Il ne pourra s’en prendre qu’à lui-même.
Journal fictif de deux collègues de bureau. Dans cette seconde partie, Youn nous livre l’envers du décor par ses états d’âme concernant la promotion de son collègue et ami.
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