Gagner… Quel mot bizarre. Il aligne les gens dans un rapport vertical, hiérarchique. Il y a celui qui gagne et les autres ; un premier et forcément un dernier.
Du moins, c’est un rôle qu’on lui attribue spontanément, celui de classer, d’ordonner, selon une notion de performance (On gagne des médailles), une notion de mérite (On gagne l’estime des autres), une notion de labeur (On gagne sa vie) une notion de hasard (On gagne au loto)… Le tout mélangé dans notre cerveau, ça donne une conclusion transversale du type : « Si je suis performant et que je fais bien ce qu’on me dit, avec un peu de chance, je vivrais confortablement »… l’horreur.
Même si les temps changent, même si une nouvelle ère nettoie peu à peu ces croyances passées, si nous ne faisons pas l’effort de prendre conscience de ce type d’aberration, nous vivrons encore longtemps dans cette verticalité stupide et ces conclusions inutiles.
Gagner peut aussi devenir un mot qui aligne les gens dans un rapport horizontal.
Lorsque l’un d’entre nous gagne, les autres gagnent aussi.
Imaginez un monde où les gens qui réussissent, qui gagnent beaucoup d’argent en exerçant leur passion, décident de partager leur travail et leurs responsabilités avec d’autres personnes, en les rémunérant avec l’argent gagné, des gens qu’on appellerait des employés. Imaginez un monde où ces employés puissent à leur tour partager l’argent gagné avec d’autres personnes, des commerçants, des employés d’autres sociétés par exemple, en achetant les objets de leur fabrication ou en profitant de leurs services. Imaginez un monde où cette horizontalité permettrait d’organiser des services d’aide aux plus démunis, afin qu’ils aient un toit, une assiette pleine et suffisamment en poche pour avoir le bonheur de partager, eux aussi.
Oui, je sais… c’est notre monde et en même temps, ça ne l’est pas.
C’est un monde que nous pourrions construire s’il n’y avait pas cette lecture verticale du mot « Gagner ». Une lecture horizontale de ce même mot changerait jusqu’à la qualité de l’air qu’on respire, des mots qu’on échange.
L’argent, ce n’est pas une médaille, ni une récompense, ni l’expression bienveillante du hasard… C’est une énergie, la représentation matérielle de la reconnaissance, un « Merci » en papier filigrané et en pièces métalliques. Il n’y a rien derrière ces objets que ce qu’on veut bien leur attribuer. L’argent n’est pas responsable des conflits sociaux, de la pollution, de la violence. C’est notre regard vertical qui en est responsable, cette classification absurde du premier au dernier.
Je me souviens d’un de mes amis qui m’avait dit un jour, « Moi, je ne suis pas comme toi, je n’ai pas besoin de gagner 10000 euros par mois, vivre avec 2000 me suffit largement. » Ce à quoi j’avais répondu « Qu’est-ce qui t’empêche d’en gagner 10, d’en reverser 8 à ceux qui n’ont rien et de garder 2 pour vivre heureux ? ». Je n’ai jamais eu de réponse.
Aujourd’hui, nous sommes arrivés au bout de l’impasse et tentons de conserver l’équilibre en marchant sur une charnière. La perspective de gagner de l’argent en exerçant le travail qu’on aime est une pensée noble, énergisante, mais trop souvent contrée par le sentiment de culpabilité, cette amère sensation de vouloir devenir plus que les autres, alors qu’au fond, ce que nous voulons, c’est devenir pareil que les autres, ni plus, ni moins.
Essayez de vivre cette journée en vous demandant comment l’horizontalité pourrait changer notre univers. Si vous étiez « Horizontal », comment serait votre vie ?
Je vous souhaite à tous, une très belle journée.
Laurent Marchand.