Ce héros qui est en chacun de nous

INTRODUCTION

Qu’y a-t-il de commun entre Barack Obama et La Guerre des étoiles ? Que ce soit le président des États-Unis élu fin 2008 qui a soulevé une vague d’espoir dans le monde entier ou le scénariste et réalisateur George Lucas qui a créé une série de films cultes dès 1977, tous deux ont grandi avec un livre de Joseph Campbell qui valorise la quête d’aventures héroïques. Dans le cas du cinéaste, c’est la lecture du Héros aux mille et un visages ; dans celui du président Obama, c’est celle de Puissance du mythe, un des livres favoris de sa mère. Alors que Joseph Campbell fait partie des essayistes majeurs aux États-Unis, ce penseur reste pourtant méconnu en Europe. Célèbre professeur de mythologies comparées, écrivain et orateur, il fut le défenseur d’une grande idée : nos mythes sont encore vivants, et doivent le rester car nous avons besoin d’eux pour accomplir la quête de notre vie. En effet, il pèse une menace sur notre société actuelle. Allons-nous laisser un système nous dicter notre conduite ou allons-nous apporter à ce système un souffle plus humain en menant des existences épanouies et davantage altruistes ? Où trouver une solution ? Joseph Campbell la puise dans les images de nos mythes qu’il s’agit d’adapter à nos problèmes contemporains pour nous reconnecter à l’essentiel.

Le mythe, pour Campbell, c’est d’abord l’aventure d’un héros qui a le courage d’aller au bout de ses convictions : « Un de nos problèmes aujourd ‘hui est celui de la transformation énorme et rapide de nos formes de vie, les modèles pour vivre n’existent plus pour nous. ( . . . ) Le héros comme modèle est une chose dont nous manquons, aussi chacun a besoin d’être son propre héros et de suivre un chemin où il n’y a pas de chemin. C’est une situation vraiment intéressante. » On a pris l’habitude aujourd’hui de penser que les mythes sont de jolies histoires à raconter au coin du feu, ou des mensonges dont la science a prouvé l’inutilité, ou encore des illusions dangereuses qui aveuglent les individus. La seconde moitié du XXe siècle a en partie dévalorisé les mythes. Campbell recommande de renouveler les histoires fabuleuses anciennes, c’est-à-dire de leur ôter ce qu’elles ont désormais d’invalide pour transposer leurs symboles dans notre époque. Par « mythe », Campbell entend aussi l’ensemble des religions : il aborde en effet les textes sacrés sous l’angle du chercheur, et non pas avec le regard du croyant qui ferait d’un seul texte sacré la lecture de toute une vie. L’approche de Campbell consiste à faire de tous les textes mythologiques une lecture de la vie humaine. Il en propose une vision symbolique : le mythe n’est pas un mensonge, il n’est pas non plus une vérité historique, c’est une métaphore, c ‘ est-à-dire une image de nos vies et de notre condition humaine. L’enjeu est double : psychologique, pour mieux vivre, et métaphysique, car ces mythes nous mettent en contact avec des mystères plus profonds que notre seul quotidien. La métaphysique a en effet pour objet d’expliquer la nature ultime de l’être, de l’univers et de notre lien avec cet univers. À travers les mythes, Campbell nous emmène à la recherche du héros tout au fond de nous qui attend d’être appelé à l’aventure et de réaliser la quête la plus essentielle qui soit : être vivant.

Nos mythes sont alors l’équivalent d’un GPS intérieur : ils indiquent comment se retrouver dans le labyrinthe de nos contradictions, tracent une route pour descendre dans nos profondeurs. Dans le mythe grec, après avoir tué le monstre nommé Minotaure qui vivait dans le labyrinthe, le héros Thésée retrouve son chemin grâce à un fil qu’il a déroulé depuis l’entrée, un fil donné par une jeune fille, Ariane : le héros « n’avait qu’un bout de ficelle. On n’a besoin de rien d’autre ( . . . ). Seul un fil d’Ariane vous est indispensable » (PM, p. 251). C’est l’originalité de la vision de Campbell : les mythes ne sont pas seulement un réservoir de la sagesse humaine dans lequel puiser des conseils pour le quotidien ; le mythe construit une route sous nos pieds, étape par étape, là où auparavant n’existait aucun chemin, alors même que nous étions égarés.

Cet ouvrage a aussi pour enjeu de tendre à chaque lecteur le fil pour avancer dans la vision mythologique de Campbell et, grâce à elle, en lui-même. À travers ses grands ouvrages, je souhaite transmettre sa pensée, lui laisser souvent la parole, la commenter parfois, mettre l’accent sur la manière dont notre vie elle-même devient une quête héroïque. Campbell a développé une pensée originale grâce à des maîtres qui l’ont inspiré. Je retiens pour ce livre les travaux du psychologue suisse Carl G. Jung et du spécialiste des mythologies orientales, professeur et mentor de Campbell, l’Allemand Heinrich Zimmer.

Je propose aussi de suivre les idées de Campbell à travers quelques exemples dans notre littérature et dans l’art, tel un voyage à entreprendre pour vivre autrement notre culture. Parce qu’il suffit d’un simple fil d’Ariane, je vais parfois relier dans ce livre la mythologie et certaines personnalités ou bien des penseurs ou des historiens des religions. Rien ne peut cependant remplacer la lecture directe des ouvrages de Joseph Campbell ou l’écoute de ses conférences disponibles grâce à la fondation Joseph Campbell : c’est la voix d’un penseur lumineux.

Enfin, il m’arrivera d’interpréter sa pensée avec un style personnel, car ce livre souhaite aussi délivrer la parole de cet auteur comme on joue l’ oeuvre d’un maître au piano : il faut non seulement en déchiffrer la partition, mais être capable de l’interpréter de tout son être, de la pratiquer dans sa vie de tous les jours, et d’inventer une manière originale de la restituer. »

Article parut dans dans la newsletter de : www.cles.com
Réf : Ce heros qui est en chacun de nous – Laureline Amanieux – éd. CLES / Albin Michel