Baroud d’honneur : Qui veut aller loin ménage sa monture…

C’est le jour tant attendu, celui où je vais prendre possession de ma nouvelle voiture. Il est vrai que l’ancienne, que j’utilise depuis 15 ans déjà, ne me donne plus satisfaction. Entre les pannes de moteur, les défauts d’allumage des feux et les freins capricieux, je ne me sens plus très à l’aise aux commandes.
Je prends donc place dans l’habitacle, pour la dernière fois, de cet ancêtre qui n’est même pas capable de voler à plus de 20 mètres au-dessus du sol. Je tourne la clef de contact. Rien ! Décidément, elle a décidé de m’empoisonner la vie jusqu’au bout.
Je sors donc de cette maudite boîte de conserve, passe devant et lui assène un coup de pied magistral. Imperturbable ! Moi, j’en suis quitte pour un gros pansement sur le gros orteil gauche qui n’est plus très droit après ce geste rageur.
Calmons-nous ! Il me reste l’autre solution, pas très recommandée, c’est vrai. Mais je me fiche pas mal des conséquences. Un branchement en surtension sur le générateur, et ça devrait redémarrer. Aucun moteur, neuf ou ancien, ne résiste à un tel choc. Au diable le démarreur ! S’il est grillé dans l’aventure, je n’en aurai de toute façon bientôt plus besoin.
Un grésillement ! Quelques étincelles ! Et voilà le ronronnement presque agréable de ce vieux moulin électrique. À entendre cette musique onctueuse, je me demande si elle n’essaierait pas de m’amadouer pour que je change d’avis.
En route ! Ça faisait longtemps que je n’avais plus constaté une telle maniabilité. Wouaouww ! C’est génial ! je suis grisé par la vitesse. Tirons le manche vers le haut : Ciel ! Je le rejoins ! C’est incroyable, je décolle.
Comment est-ce possible ? Satanée voiture ! Tu aurais pu te montrer aussi docile depuis longtemps, et je t’aurais peut-être gardé encore un peu. Mais puisque tu es dans d’aussi bonnes dispositions, voyons ce qu’il te reste dans le ventre.
J’appuie à fond sur la pédale et reçois en réaction un fameux coup de pied au cul. Quelle accélération, mes aïeux ! C’est dingue, je n’ai jamais vu ça ! Continuons ! Montre-moi jusqu’où tu peux aller. Accélère ! Accélère, encore ! C’est pas croyable. Je n’aurais jamais cru cela possible.
Ah ! Ça chauffe. Les warnings s’allument et l’alerte sonore vient de retentir. Bah, je suis presque arrivé. Au fond, autant lui offrir une belle mort. Un baroud d’honneur en somme. Continue ! Fonce ! Ne t’arrête pas !
Je coupe l’alerte pour ne plus être dérangé, je suis grisé par la vitesse. Et puis « Crac » ! Ça devait arriver ! Plus de pression, la poussée cesse instantanément. Le pilote automatique rétablit l’assiette et me fait redescendre en douceur. La vitesse diminue et je touche le sol sans trop de mal. De nouveaux témoins clignotent, les extincteurs automatiques entrent en action. Je continue sur ma lancée, le garage est à vue. Il se rapproche encore, encore… Voilà ! C’est fini ! Mon véhicule s’immobilise à 20 mètres de l’entrée. Il n’ira pas plus loin mais je ne peux pas lui en vouloir.
J’entre dans l’établissement et je demande à l’accueil de me débarrasser de l’épave grillée à deux pas. Je fais fi de la grimace du réceptionniste et annonce que je viens chercher mon nouveau véhicule au nom de « Takassé Momoteur ».
L’homme en face de moi tapotte quelques touches, lit ce qui s’affiche sur son écran, puis esquisse un sourire qui se mue en rictus en levant les yeux sur moi et m’annonce :
— Votre femme est venue hier en prendre livraison.
— Comment, dis-je, ce n’est pas possible ! Où est-il ?
L’homme regarde par la fenêtre et martèle ces mots avec un plaisir évident :
— Je crois qu’il brûle en ce moment sur le parking. 
 
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