Marriott contre Howard Johnson : le déclin d’un grand franchiseur américain expliqué par James C. Collins & Jerry I. Porras.

Compétence de gestion

9 septembre 2013

par Christian Latour

LES FAITS TELS QUE PRÉSENTÉS PAR COLLINS & PORRAS DANS LEUR OUVRAGE « BÂTIES POUR DURER — LES ENTREPRISES VISIONNAIRES ONT-ELLES UN SECRET ? »

En 1960, Howard Johnson, père, s’est brutalement retiré de l’entreprise qu’il avait construite, la laissant entre les mains de son fils, Howard Johnson Junior. « Je n’avais jamais rien vu de pareil, a dit un associé de longue date. « La plupart des hommes ne veulent pas se séparer de leur construction. Lui est juste parti, et c’est tout. » Il a laissé derrière lui l’une des entreprises américaines les mieux connues, avec sept cents restaurants et hôtels parsemant les autoroutes du pays, tous décoré de toits orange criard et attirant la classe moyenne américaine, totalement séduite. J. Willard Marriot, Junior a fait ce commentaire à l’époque, « qu’il espérait que l’entreprise qu’il avait héritée de son père puisse un jour être aussi prospère que celle de Howard Johnson. » En 1985, Marriot était non seulement devenu aussi prospère que Howard Johnson, mais l’avait largement surpassé, de sept fois.

L’AUTODISCIPLINE DE MARRIOTT VS LA COMPLAISANCE DE HOWARD JOHNSON

Qu’est-il arrivé ? La réponse réside en grande partie dans la perpétuelle autodiscipline de Marriott en tant que machine à amélioration continue opposée à la complaisance de Howard Johnson. Comme l’a souligné Howard Johnson, Junior, dans une interview en 1975 : « Nous sommes une entreprise réactive. Nous n’essayons pas d’anticiper l’avenir. Dans ce secteur, vous ne pouvez pas voir à une très grande distance, peut-être deux ans plus loin seulement. » À la différence de Marriott, Howard Johnson a refusé d’investir dans des restaurants et des hôtels adaptés à des catégories spécifiques du marché, pour, finalement, se retrouver « catégorisé à mort ». Pendant que Marriott continuait d’investir et de construire pour l’avenir, même pendant les récessions, Howard Johnson est devenu entièrement focalisé sur le contrôle des coûts,l’efficacité et les objectifs financiers à court terme. Tandis que Marriott se contraignait à améliorer sans cesse la qualité et la valeur de son service, Howard Johnson est devenu « un fournisseur ruineux de nourriture insipide, manquant de personnel et débordant d’idées obsolètes ». Un ancien dirigeant de Howard Johnson a fait cette réflexion : « Ho Jo paraissait toujours avoir des idées pour améliorer les restaurants et les hôtels, mais sans jamais dépenser d’argent. » Un dirigeant de l’Imperial Group, l’entreprise qui a racheté Howard Johnson en 1979, a expliqué pourquoi ils ont revendu l’entreprise six ans plus tard pour une somme inférieure de moitié au prix d’acquisition :

Les bénéfices étaient artificiellement élevés. Les réinvestissements avaient été négligés. On avait rogné sur le personnel, les menus et la rénovation. Cela revenait à saigner l’entreprise en ne réinvestissant pas.

À un moment donné, Howard Johnson, Junior, a déménagé dans d’élégants bureaux du Rockefeller Center de New York (en laissant le reste de son équipe dirigeante à Boston) et a consacré l’essentiel de son temps en mondanités avec le gratin de la ville. Un concurrent a résumé ainsi cet état de choses :

Chaque fois que j’ai vu Howard Johnson, il était toujours en train de me dire comment il allait sabrer ses coûts. Je pense qu’il ne passait pas assez de temps dans ses restaurants. S’il y avait mangé au lieu de déjeuner au 21 [un restaurant à la mode à New York], il y aurait appris quelque chose.

À l’opposé, Marriott, Junior, a choisi un style de vie relativement modeste, guidé par ce qu’il appelle « l’éthique de travail Mormons » (soixante-dix heures par semaine), qui le conduisait à visiter personnellement jusqu’à deux cents sites Marriott par an – et à attendre des emplois du temps similaires de la part de ses autres dirigeants.

Ce qui est encore plus important, c’est que Marriott, Junior, a traduit son besoin personnel de progrès dans la texture même de l’institution. Voici une brève liste de mécanismes visant à stimuler l’amélioration que nous avons relevée chez Marriott, durant son temps de fonction, mais pas chez Howard Johnson :

 « L’index du service client (ISC) », fondé sur les cartes de commentaires laissées par les clients et les enquêtes détaillées sur certains d’entre eux pris au hasard. Les directeurs peuvent retrouver leur ISC grâce à des classements informatisés et font des ajustements en conséquence. Cet index influe sur les primes et les possibilités de promotion.

 La performance annuelle analysée pour chaque employé, à l’heure et par directeur.

 Des bonus de motivation distribués à chaque étage, jusqu’au patron des cafétérias ; des bonus qui s’appuient sur le service, la qualité, ainsi que sur la clarté et l’intégralité en plus de l’efficacité des coûts.

 Un programme d’intéressement disponible pour tous les employés à tous les niveaux de l’entreprise ; la participation à un programme où les employés investissent de façon individuelle jusqu’à 10 % de leur salaire dans un fonds de partage des bénéfices, ce qui crée ainsi un lien réel entre la sécurité de l’employé en tant qu’individu et la progression de l’entreprise.

 Des investissements dans des processus intensifs d’entretien et de sélection pour le recrutement de nouveaux employés ; les nouveaux hôtels Marriott interviewent en moyenne plus de mille employés pour cent postes disponibles.

 Des programmes de développement à l’intention des dirigeants comme des employés ; au début des années soixante-dix. Marriott dépensait jusqu’à 5 % de ses bénéfices avant impôts dans le développement du management.

 Des investissements dans un « centre d’apprentissage » grandeur nature (construit en 1970), équipé avec les dernières nouveautés en audiovisuel et en informatique quant aux technologies d’enseignement. Un article de Forbes l’a décrit en 1971 : « Un flot incessant de centaines de directeurs de Marriott vont et viennent des cours de recyclage, en même temps que de nouveaux employés impliqués dans la formation « d’immersion totale » pour apprendre comment préparer et servir les plats. »

 Des « acheteurs mystères » — des inspecteurs qui se font passer pour des clients. Si le service a été satisfaisant, les « acheteurs mystères » produisent une carte d’identité et la donnent au serveur avec un billet de dix dollars attaché au dos. Si une amélioration s’avère nécessaire, il n’y a pas de billet de dix dollars attaché et la carte dit « Attention ! » Ceux qui reçoivent un « Attention » sont dirigés vers une formation approfondie. Chaque employé a trois occasions de s’améliorer.

MESSAGES DES AUTEURS À L’INTENTION DES ENTREPRENEURS ET GESTIONNAIRES

Si vous êtes concerné par la construction et la gestion d’une entreprise, nous vous demandons instamment de réfléchir aux questions suivantes :

 Quels « mécanismes de mécontentement » pouvez-vous créer pour éradiquer la complaisance et apporter le changement et l’amélioration de l’intérieur, tout en demeurant en adéquation avec votre idéologie intrinsèque ? Comment pouvez-vous rendre ce mécanisme incisif ?

 Que faites-vous pour investir dans le futur tout en réussissant aujourd’hui ? Votre entreprise adopte-t-elle de nouvelles méthodes et technologies novatrices avant le reste de l’industrie ?

 Comment réagissez-vous aux échecs ? Votre entreprise continue-t-elle de construire pour le long terme même aux moments critiques ?

 Est-ce que les gens dans votre entreprise comprennent que le confort n’est pas l’objectif, que la vie au sein d’une entreprise visionnaire n’est pas censée être facile ? Votre entreprise rejette-t-elle le concept de « faire bien » comme objectif ultime, en le remplaçant par une discipline sans fin d’œuvrer à faire mieux demain qu’aujourd’hui ?

CONCLUSION

Nous relevons une bonne et une mauvaise nouvelle dans ce chapitre. La bonne nouvelle, c’est que l’un des éléments clés de la réussite se révèle d’une simplicité biblique : du bon vieux travail acharné, du dévouement envers une perpétuelle amélioration et une incessante construction vers l’avenir vous mèneront loin. C’est relativement simple, à la portée de n’importe quel dirigeant. La mauvaise, c’est que créer une entreprise visionnaire exige une énorme quantité de bon vieux travail acharné, de dévouement à l’amélioration et la volonté de construire sans cesse pour le futur. Il n’y a pas de raccourci. Il n’y a pas de potion magique. Il n’y a pas de détour. Pour construire une entreprise visionnaire, vous devez être prêt pour une longue et difficile ascension. Le succès n’est jamais définitif. C’est une leçon que Howard Johnson n’a jamais apprise.

Source : — Source : James C. Collins & Jerry I. Porras, Bâties pour durer — Les entreprises visionnaires ont-elles un secret ? FIRST-Management, Paris, 1996 (voir page 269-273)

Marriott

Année de création : 1927

Fondateur (s) : J. Willard Marriott (26 ans), Allie Marriot (22 ans).

Siège : Washington, D.C.

Concept fondateur : Créer leur propre entreprise. Ils ont commencé avec un restaurant… A & W Root Beer. Pour s’étendre, ils y ont ajouté un commerce de nourriture épicée (essentiellement mexicaine), et ont baptisé le restaurant le Hot Shoppe.

Howard Johnson

Année de fondation : 1925

Fondateur (s) : Howard Johnson (27 ans).

Concept fondateur : Il acheta un bar de boissons sans alcool et adopta la formule de sa mère pour la fabrication de glaces. Cette formule s’est révélée un succès en Nouvelle-Angleterre.

En six mois, la demande dépassait ses capacités de production. En 1928, les ventes de glaces atteignaient 240 000 dollars. En 1933, il s’est développé en ouvrant ses fameux restaurants routiers aux toits orange. Il a construit 125 unités en 1940.

Une fois développé le concept de base de ses restaurants routiers, il l’a développé et a tout misé sur cette idée.

Source : — Source : James C. Collins & Jerry I. Porras, Bâties pour durer — Les entreprises visionnaires ont-elles un secret ? FIRST-Management, Paris, 1996 (voir page 328)

Manuel de (gestion / réflexion) du restaurateur presque parfait… la lettre M