Les oiseaux chantent, c’est calme, paisible, la paix, j’aime ce sentiment de paix. Je me suis réveillée à trois heures, mais je me sentais fatiguée, je suis restée au lit, j’ai pensé, j’écrivais dans ma tête, je ne peux pas ne pas écrire, je revis mon passée c’est effrayant, je me dis que j’ai 54 ans et que j’ai l’impression de voir toutes ses années en si peu de temps. Mon enfance est là, je n’ai jamais vécu sans mon passée, c’est pour cette raison que ma vie, je n’ai pas vécu ma vie, malheureuse toute ma vie. Je n’ai jamais été libre, libre d’être moi.
Bon, les oiseaux qui chantent me rappelle quand je rentrais à l’aube, après m’être amusée avec mes copains, copines (enfin amusée à cette époque on se sentait bien, même si on n’avait pas d’argent, on s’amusait) maintenant jusqu’à l’aube je ne sais pas que faisions nous, je sais plus. Mais je me suis enfin révoltée envers ma mère, je ne sais pas, mais je me rappelle que je recevais des coups, ce n’était pas grave.
Je vais sauter des années, j’y reviendrais surement,
1974, ma grande sœur Saliha s’est mariée avec Michel, on n’a pas été invité sous prétexte que nous étions des étrangers, mais je crois que tu avais honte de nous ma grande sœur, pauvre gens que nous étions à côté de ton mari, issu d’une famille aisée de la Rochelle je crois si je n’ai pas oubliée. Ce n’était pas grave ma sœur. Tu étais enceinte en même temps que ma mère, eh, oui encore un bébé ma mère, une surprise pour moi, le plus beau cadeau qu’elle pouvait me faire, un bébé à la maison, je prenais soin d’elle, ma mère, j’avais l’impression d’être le papa à cette époque. C’était dur pour maman elle devait avoir 41 ans en 1974, assumer tout, toute seule, mais non avec moi, je m’occupais de tout, j’avais 17 ans, alors, j’allais plus vite au ménage, plus de secret pour moi, je faisais les courses seule, je faisais vraiment tout. Maman n’était pas très contente d’avoir un petit bout dans son ventre, elle ne voulait pas de bébé, oups, moi j’étais trop contente je lui disais que j’allais m’en occuper et il y avait ma sœur Nadia 13 ans, elle m’aidait enfin à faire des besognes, mais elle était un peu feignante, un rien la fatiguait (je t’aimais ma sœur). Je reprenais après toi, tu avais ton caractère, quand tu décidais quelque chose, tu faisais tout pour que je te demande de me laisser faire. Coquine, mais ce n’était pas grave, j’aimais bien être la maitresse de la maison. Et un bébé quel bonheur, je disais que nous allions enfin être une mère, une fille, mon bébé. Tu étais encore dans le ventre de notre mère que je disais déjà que tu étais mon bébé, c’est compliqué dans ma tête. J’allais acheter tes vêtements chez Tati ou au Monoprix.
Maman ne s’était pas occupée du trousseau, je savais qu’elle ne te voulait pas, mais moi petite sœur Lynda j’étais là, je serais ta maman, et c’est ce qui s’est passé. En urgence, maman avait perdu ses eaux. J’ai appelé le Docteur Toblem, ni une, ni deux, il nous a emmené à la clinique de Fresnes, j’étais avec ma mère, il fallait bien. Mais je ne me rappelle plus de papa que c’était-il passé. Il y a longtemps que je n’ai pas vu papa. Pourquoi ?
Mais bon, Ma mère et moi avons hâte que tu sortes, je rangeais ton petit trousseau dans l’armoire et tes petites peluches que je t’avais choisi. Je n’avais pas dit, mais j’avais un peu d’argent, j’étais monitrice dans un centre aéré. C’est avec mon argent que j’avais acheté tout tes vêtements, c’était moi qui avait choisi, tu étais mon ange venu du ciel. C’est parti, maman est rentrée seule dans la salle, j’étais dans tous mes états, déjà des liens fort me liait à toi ma petite sœur. On m’a fait rentrer dans la chambre, et je t’ai vu, je t’ai pris dans mes bras, mon bébé. J’ai rempli tous les papiers et je suis même allée à la mairie de Fresnes pour donner ton prénom, maman voulait t’appeler Nora, et bien moi j’ai choisi Lynda, je trouvais que c’était plus joli, Lynda, oui je t’ai déclarée à la mairie. Moi à 17 ans.
Tous les jours, après le lycée je venais en courant pour venir te voir, je ne pensais qu’à toi, je savais qu’il fallait que je lave tes couches en tissus à la main, je les faisais bouillir dans une grosse marmite, l’infirmière m’avait expliquée comment je devais faire, c’était important pour tes petites fesses, bien rincer, laver avec du savon en paillette, c’est fou comme je me souviens. Quel bonheur à ce moment. Chacun des frères et sœur venaient te rendre visite, mais je n’aimais pas qu’ils te prennent dans leur bras, j’avais peur qu’il te casse.
Tu étais à moi, quelle idiote j’ai pu être, je croyais que tout allait devenir bien dans cette famille, après m’être occupée de toi Lynda, t’avoir habillée, promenée dans ton joli landau blanc et bleu. J’étais fière, je disais à tout le monde que tu étais mon bébé.
C’était normal, non, je me suis occupée de toi, c’est moi qui me levait pour te donner le biberon, le bain, tes vêtements, c’était moi qui les lavaient, ton caca jaune, je le frottais avec mes mains, alors tu étais mon bébé.
Un jour, ma mère avait décidé, comme cela d’un coup que je n’étais pas ta maman, tu devais avoir six mois à peu près, je n’avais plus le droit de te faire beaucoup de bisou, elle me disait c’est mon bébé, alors je pleurais, je n’avais pas compris. Mais c’est elle qui m’avait laissée son rôle de maman, et après elle me reprochait de vouloir prendre sa place, je me souviens bien souvent elle me faisait ce reproche, je ne suis pas morte, ce sont mes enfants. Je suis leur mère, je ne suis pas encore morte. C’était dur d’entendre ces mots, choquant, je n’avais rien compris. Sans le savoir, je m’étais donner son rôle envers mes frères et sœurs. Et elle me l’a repris d’un seul coup. Je crois qu’à partir de ce moment mon cerveau n’avait pas compris, ni accepté qu’elle m’enlève mon rôle.
Je sortais de plus belle, je me mettais à fumer, à boire, je trainais dehors, j’étais perdue.
Et quand je rentrais elle m’insultait de tous les noms surtout celui de putain, alors, un jour, non le jour de mes dix-huit ans, je me souviens m’être donnée à un homme, un copain qui voulait quelque chose de moi, ma virginité, ma mère me disait que j’étais une putain, alors oui je le suis devenue à l’âge de mes dix-huit ans. Imaginez, une jeune fille qui se fait dépuceler par un homme dans un hôtel à Paris métro Jean-Jaurès, ce salaud il m’avait fait mal je saignais beaucoup, je ne comprenais pas ce qui se passait, ce qu’il m’avait fait j’avais peur qu’il m’est déchirée quelque chose, je suis partie au petit matin, j’ai pris le métro avec mon jean plein de sang, ça coulais et j’avais trop mal, mais forte je me retenais de pleurer, car le métro, il n’y avait que des hommes, qui allaient travailler, des ouvriers, ils commençaient très tôt les pauvres. Tous les regards, étaient sur moi, normal que faisait une jeune fille seule pleine de sang, le maquillage qui coulait, oui, j’étais devenu une putain, une trainée comme ma mère me le disait souvent. Elle avait enfin raison.
e me vois à la gare d’Antony, je croisais des voitures de police, c’était mes copains, on sortait souvent ensemble, j’étais très connu, les pompiers, les postiers, ceux qui travaillaient à la sous-préfecture c’étaient mes copains. J’avais honte, je baissais la tête, qu’allait-il comprendre, il n’y avait pas de bus à cette heure-ci, alors je marchais en pleurant, je sentais le sang couler le long de mes cuisses, c’était affreux. J’avais peur, peur de perdre tout ce que j’avais dans mon ventre, je ne savais rien des rapports sexuels. Si ce n’est ce que mon frère ou ma tante me faisait, quelle saloperie, je les déteste.
J’étais perdue, je m’insultais, je parlais comme ma mère, je suis une putain maintenant tu avais raison maman. Alors en rentrant, je ne suis pas rentrée par la trappe de charbon, mais j’ai frappé très fort, avec rage à la porte, ma mère paniquée est venue ouvrir et bien sur sa sœur accrochée à elle était là. Elle a ouvert cette porte, et a poussé un cri que je n’oublierai jamais elle s’est griffée le visage, arrachée les cheveux, moi, droite, je pleurais beaucoup
et je me souviens lui avoir dit « voilà maman, je suis une putain, grâce à toi, tu as raison maintenant, tu peux me le dire, c’est vrai j’ai couché avec un homme. J’étais devenue celle-là, la putain.
Mon pauvre frère Arezki est descendu et il s’est mis à pleurer, c’était le seul qui m’avait pris dans ses bras, et on pleurait tous les deux, il avait compris le pauvre.On s’aimait bien, c’était mon chouchou Arezki. Comme tu me manques mon frère ARESKI, pas un jour ne passe sans que je regarde ta photo, tu es parti sans me dire au revoir.
Des larmes coulent à flots quand je raconte ce passage, mais ce n’est pas grave, je ne cesserai pas d’écrire, même si j’ai de la morve qui coule, non c’est dégueulasse, je vais chercher un mouchoir, soyons propre, humble, les photos me regardent.
Voyez-vous je viens de me rendre compte que je pleure plus à ce moment, mon frère me manque, il est mort depuis bien longtemps, mais il est vivant en moi, je ne l’oublierai jamais
Je ne lui ai pas dit au revoir, même si il m’a réclamée avant de partir, je vous déteste tous, tous ceux qui m’ont empêché de lui dire au revoir. Vous n’aviez pas le droit de m’interdire de lui dire au revoir, mon frère tu me manques, je vivrais toute ma vie avec ce regret. Au nom de qui de quoi, peut-on décider de qui a le droit ou non de dire au revoir à son frère.
Ma mère, elle avait décidé de m’interdire de le voir, je me souviens la dernière fois ou je t’ai vue mon frère chéri (je pleure à m’étouffer mais ce n’est pas grave, je continue)
Il était à l’hôpital Cochin, il y était né, il y est mort.
Maigre comme tu étais maigre mon frère chéri, nous ne cessions pas de pleurer, tu m’as pris la main, tu la serrais fort, je ne voulais pas que tu sois sur ce lit, au Service de la mort. Pas toi, mon frère. C’est elle qui aurait dû être sur ce lit, mais pas toi.
Tu as cherché refuge dans la drogue, chacun de nous a essayé de comprendre sa vie, à sa façon, je regrette de ne pas avoir été là pour toi, je me saurais occupée de toi, je t’aurais aidé à comprendre toute cette merde que nous avons vécu, mais elle nous a toujours empêché, empêcher de nous parler, c’était le maitre, le bourreau. On avait peur de cette matrone.
La drogue, la prison à Fresnes, j’ai gardé toute tes lettres, depuis des années je n’ai pas pu les lire, mais je vais les lire un jour, je les ferais lire à mes Sœurs Saliha et Lynda un jour.
Quand je venais au parloir, nous étions tellement triste, je lavais tes vêtements, tu te rappelles à chaque fois je mettais un berlingot de Mini Dou pour que tes vêtements sentent bon, et même du parfum dans tes chaussettes, tu étais mon petit frère. Je te demandais tout le temps ce que tu voulais que je t’apporte, je t’achetais tout ce que tu voulais, tu étais mon frère, même si elle rageait de voir que tu me prenais plus la main, la mère elle était jalouse,
Elle voulait toujours venir avec moi pour te voir, profiteuse, j’allais même la chercher en voiture, jamais elle n’est venue te voir seule, jamais elle n’a pris tes vêtements sales pour les laver, jamais elle ne t’avait envoyé de mandat pour tes cigarettes, pour t’acheter des petites choses, jamais. Heureusement, que j’ai tes lettres, bien sûr elle s’est empressée de déchirer les miennes, ce n’était pas à elle, pourquoi a-t-elle fait cela, elle nous a volé notre vie.
Fur et à mesure, je voyais bien que tu maigrissais, tu avais le teint gris, tu es rentré parce que tu te droguais, tu étais malheureux, tu te punissais en te droguant, tu n’avais pas tué, pas volé, tu te droguais seulement, tu abimais ta santé, ta vie, mon frère, pourquoi ? Et un jour dans la rue une descente de police, sans comprendre ce qui se passait tu étais en prison, pour la drogue. Tu es sorti avec cette maladie le Sida. Depuis ce jour, notre vie était détruite.
Une partie de moi était morte, je t’avais élevé, c’est moi qui avais lavé tes vêtements, c’est moi qui pleurais au parloir, et elle m’a interdit de te dire au revoir. La dernière fois, lors de ma visite à l’hôpital, je me cachais, je surveillais qu’elle ne soit pas là, encore là j’avais peur d’elle, ce n’est pas possible, tellement que j’avais peur d’elle, mais qui était-elle.
On se prenait la main, on s’embrassait tellement fort que j’avais peur de te casser, tellement tu étais maigre, je te vois, mon pauvre Arezki tu étais tellement beau avant cette merde, tu m’avais montré un cahier, tu m’avais dit qu’il fallait que je le prenne avant qu’elle puisse le prendre. Comme je regrette de ne pas l’avoir pris, tu aimais écrire, je me rappelle, tu écrivais des poèmes, tu écrivais de longues lettres, tu étais tellement romantique mon frère. Que du bonheur ce jour-là, mais une sensation forte comme-ci que je savais, je n’allais plus te revoir, je te jure, je le savais, mais pas elle qui m’aurait interdit de te dire au revoir.
La dernière phrase dont je me souviens, tu m’as dit tu es belle, reste toujours belle, promet le moi, je te l’ai promis depuis ce jour, je ne reste pas un jour sans me maquiller, mon rouge à lèvres, comme tu me taquinais à chaque fois, tu aimais bien mon rouge. Voilà la dernière image de toi que je garde dans mon cœur. Je devais repasser, mais elle était toujours là, alors je suis partie et je ne t’ai pas dit au revoir.
A demain, mon cher ami